Et bien!
Ça prenait bien une pandémie d'ampleur mondiale pour que je réactive ce blogue inactif depuis 2015.
Il faut dire qu'il ne porte plus tellement bien son nom, puisque cette publication ne se veut pas une diatribe politique. Ce n'est pas tant que je n'aie pas le goût, mais en cette ère où il fait bon de manger du Trudeau et de se prosterner devant la Sainte Trinité Legault-Arruda-McCann, je me ferais déjà quelques adversaires idéologiques. Quoique cette pointe d'ironie a sûrement déjà fait le travail.
Alors je me tiendrai coi devant les affaires plus "politiques" aujourd'hui
Pour le moment.
De toute façon, c'est risqué... Tout ce qu'on peut dire ici peut être retourné contre nous, je l'ai constaté il y a de cela déjà 12 ans quand je me suis présenté à titre de candidat aux élections dans ma circonscription... Je vous en reparlerai peut-être.
Mais ne vous inquiétez pas, tel n'est pas le propos aujourd'hui. Je reprends plutôt momentanément la plume parce que j'ai mal à mon école. À force de lire toutes sortes de choses, un gars se tanne comme on dit. Tenons nous le pour dit, je me considère parmi les privilégiés durant cette période assez particulière de notre vie collective.
Aussi, je précise d'entrée de jeu que loin de moi l'idée de me plaindre de mes conditions aujourd'hui, je sais fort bien que d'autres souffrent amplement en ce moment, même si comme bien d'autres je vis des désagréments.
Cette situation n'empêche pas ce besoin de présenter ma vision des choses à propos de ce qui se passe en éducation et du besoin de rectifier certaines affirmations faites dans les médias, qu'ils soient traditionnels ou sociaux.
Allons donc au vif du sujet sans plus de préambules. Désolé, j'écris trop...
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Ça l'air que les profs, on veut pas enseigner. C'est notre faute si l'école recommence pas. Les milieux scolaires, on étaient donc bien pas préparés. On a improvisé. On est technophobes. Réfractaires au changement. En plus de tout ça, on refuse de se former. Le privé, c'est donc mieux en plus!
Bullshit. S'cusez l'anglicisme. Boule de caca.
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Recommencer l'école le plus tôt possible, je suis le premier à le souhaiter.
Cette situation de fermeture des classes ne peut pas durer indéfiniment. Je ne suis pas épidémiologiste, c'est loin de mes compétences et je n'ai pas la moindre once-proche-d'une-prétention d'y connaitre quoi que ce soit de rigoureux. Une humilité intellectuelle dont certains chroniqueurs devraient toutefois s'inspirer.
C'est pourquoi je pense que dès que le feu vert sera donné par les autorités sanitaires, il sera important que le milieu scolaire réponde présent.
Par contre, il faut vivre sur une autre planète pour s'imaginer reprise des cours se fera comme si on était le 15 mars au matin. Il faut dire que le choc de la fin des classes a été brutal. Une vraie
bully, ce te Covid-là!
Et là, depuis, on entend toute sortes de choses. Comment se fait-il que le milieu scolaire ait besoin de tant de temps pour "préparer sa rentrée", disent certains observateurs. Même le préféré des
matantes TVA, le très consensuel Gino Chouinard (oui, celui de Salut Bonjour!) s'en est indigné. Après tout, on a juste à "penser en dehors de la boîte", comme certains l'on fait dans d'autres milieux.
D'autres nous ont accusé d'être contrôlés par nos organisations syndicales... Vous savez, ces monstres machiavéliques qui nous poussent à obéir aveuglément et à bloquer toute initiative.
Et bien non.
Je dis ça de même. Depuis le début, je suis prêt à
enseigner à distance. J'ai pas dit
encourager, s'ils le veulent bien" mes élèves à faire du travail à distance, si ça leur adonne, peut-être. Je dis "
enseigner" à distance.
Mais voilà, les deux premières semaines d'arrêt, nous avons reçu la consigne de ne rien envoyer. Un flou persistait sur la suite des choses - est-ce que ça allait reprendre ou pas ? Et jamais une directive ministérielle n'est venue dire clarifier le brouillard dans lequel nous nagions. Ça nous amène à la fin mars. Le ministre a beau claironner après coup qu'il n'a jamais empêché les initiatives personnelles. Quand ton employeur te dit d'attendre, tu attends.
Je dis ça de même, si on se connait pas personnellement, je suis propriétaire du site
Le Vlogue de l'Histoire au secondaire. Ce site offre du contenu pour les différents cours d'univers social - ce qu'on appelait autrefois les sciences humaines - de la première à la quatrième secondaire. J'ai passé les dernières années (depuis 2012, en fait) à monter ce plus gros projet de ma carrière. Or, bien qu'avancé, il était inachevé pour le niveau que j'enseigne cette année, la quatrième secondaire.
Que croyez-vous que je faisais de toutes mes soirées durant les deux premières semaines?
Oui, j'ai une petite tendance à être
workaholic des fois... (C'est quoi le maudit équivalent français ????)
Je me soigne, ne vous inquiétez pas.
Je ne pense pas être le seul de ma catégorie. Je ne suis pas mieux ou pire qu'un autre. Bien des profs ont déjà des aptitudes technologiques ou disposent déjà des outils nécessaires pour enseigner à distance. Ces initiatives sont plus méconnues et mal publicisées.
Non, je ne passerai pas à Tout le monde en parle comme madame Chose parce que mon contenu est pas mal plus plate que celui préparé par d'autres. Mais il fait la job qu'il a à faire, c'est-à-dire faire apprendre des choses à distance (ou pas). Et bien d'autres en font, mais ne le partagent juste pas publiquement. (C'est un autre problème dont on pourra reparler éventuellement, d’ailleurs).
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Pour revenir à la première pause forcée de deux semaines....Que font les autorités scolaires en attendant ?
Celles plus proches de nous, elles essaient de s'adapter tant bien que mal aux consignes ministérielles qui changent au jour le jour. Du moins, ce que j'en sais. Je ne suis pas là, on est tous confinés à la maison.
Tout le monde est dans le néant. On le sait pas trop ce qui va se passer. Il s'agit de se promener dans des groupes Facebook de profs et de suivre les discussions qu'on est tous tenus dans l'obscurité.
Mais que diable font les "Autorités suprêmes" en éducation, dixit le Ministre et ses hauts-fonctionnaires?
.....?
Oh, le ministère prépare bien son site internet de "l'École ouverte", un espèce répertoire du style de la Toile du Québec en version 2.0... ou 3.0.
En fait, c'est une opération de communication publique plutôt réussie si on se fie aux chiffres avancés sur le nombre de visites. On montre qu'on fait quelque-chose...
Sauf qu'à part mélanger les parents encore plus avec un répertoire de sites dont ils ne savent que faire, à quoi sert cette plateforme ? La plupart des intervenants scolaires vous diront que dans la vraie vie, ce n'est qu'une version "éducative" de Google, qui a été conçue par on ne sait trop qui. (oui, je sais c'est qui). J'ose croire que les personnes qui y ont travaillé l'ont fait avec de bonnes intentions, mais n'oubliez pas que l'enfer en est pavé.
C'était urgent, vous me direz! Dans l'urgence, il faut se "virer de bord" sur un dix cennes.
N'empêche. On est en 2020, pas en 2002. Les dates se ressemblent, mais ce site n'apporte rien de plus que
Carrefour Éducation qui existe depuis belle lurette.
Quand un processus de conception comme celui-là est opaque et que finalement pas grand monde dans le milieu n'est consulté, il ne faut pas s'attendre à des miracles, ça a beau être la période avant Pâques. Les firmes de relation publiques ou les attachés politiques ont beau essayer de nous faire avaler une couleuvre en nous faisant passer celle-ci pour du bacon, il ne faut pas être dupes.
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Plus tard, en avril, sont finalement arrivées les fameuses trousses ministérielles.
Je n'ai qu'une question.
Mais diable, pourquoi?
Je n'ai vraiment pas besoin que je ne sais-qui, dans l'urgence, pour me préparer du matériel. Ne suis-je pas formé, habileté et même payé pour le faire ?
Et on parle de valoriser la profession enseignante quand on ne fait même pas suffisamment confiance aux enseignants pour le faire ?
C'est politique, direz-vous. C'est syndical... Ils peuvent pas faire ça... Les maudits profs gâtés pourris ne veulent pas travailler. Pour leur fermer la trappe, on va leur demander publiquement de la bonifier.
Bien voyons donc.
La très vaste majorité des enseignants n'attendaient que ça, le "go" pour leur envoyer du travail à vos jeunes.
Et si jamais tel n'était pas le cas.... Moi, envoyer du travail à mes 8 groupes d'élèves ou à 16 qui ne sont pas les miens, ça ne change pas grand chose. Tant qu'on ne me demande pas de corriger les copies des autres enseignants. On est capables, dans nos milieux, de s'adapter et de se solidariser nous aussi.
Demandez-moi pas d'aller changer de couche une personne âgée en CHSLD. Je n'ai pas les connaissances ou les compétences. Par contre, en éducation, j'ai la nette impression qu'on ne nous a pas fait confiance.
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En avril, on nous a aussi demandé d'accompagner les élèves, en faisant un suivi hebdomadaire. Il ne faut surtout pas leur enseigner de nouvelle matière... Il faut plutôt "faire de la consolidation".
Ainsi, en aucun cas, le travail demandé par les enseignants ne doit nouveau, considéré pour une évaluation ou pis encore, être utilisé pour juger, à la fin de l'année, si un élève passe ou ne passe pas son cours.
Prenons un cas inventé pas si farfelu que ça. Appelons le Kevin.
Ah puis non, c'est un peu trop cliché... Et l’Association des Kevin du Québec doit être pas mal tannée qu'on utilise ce prénom là...
Kevin.
Appelons-le [INSÉRÉR ICI LE NOM D'UN ÉLÈVE EN ÉCHEC]. En date du 15 mars, il est en échec avec un résultat de 45%. J'ai beau lui envoyer du travail toutes les semaines, lui dire que c'est facultatif, mais fortement suggéré, je ne pourrai pas considérer ses efforts pour lui donner un résultat différent à la fin d'année ou en tenir compte d'aucune façon.
Quel est son intérêt intrinsèque à le compléter, alors?
Vous me direz alors que c'est la
job du parent de le pousser à le faire. Je ne leur jetterai certainement pas la pierre aujourd'hui! La très vaste majorité font ce qu'ils peuvent.
Pour prêcher pour ma paroisse, j'enseigne à des "vieux ados". Ils ont 15 ou 16 ans. Aussi bien dire des pré-adultes.
Souvent, leurs parents ne sont pas outillés. Pas nécessairement ceux à qui j'enseigne, je parle en général.
Ils font du télétravail, ont plusieurs enfants et n'ont pas les connaissances requises ni les ressources pour les encadrer. Ils sont plusieurs
pognés à la maison à s'occuper de leurs enfants tout en continuant à travailler. Dans d'autres cas, ce sont les enfants qui travaillent dans les services essentiels. Les employeurs se raccrochent sur eux comme certains se garochaient sur du papier hygiénique au Costco en début de pandémie.
On devrait pas les engager dîtes-vous? La loi sur l'instruction publique? Ok, on va fermer les McDo et rallonger les files d'attente à l'épicerie... Soyons réalistes. Bien des employeurs ont besoin de cette main-d'oeuvre, aussi paradoxal que ça puisse paraître.
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Pour en rajouter, je travaille avec des jeunes qui proviennent d'un milieu socioéconomique relativement favorisé.
Depuis qu'on a eu le feu vert, je fournis du travail à mes jeunes chaque lundi. Ceux qui le complètent ont droit à des rétroactions individualisées beaucoup plus personnalisées qu'en période hors-pandémie. Voyez-vous, j'ai plus de 200 élèves... En temps normal, c'est pratiquement impossible.
Mais là, voyez-vous, moins de 15% de mes élèves accomplissent ce travail facultatif, même s'ils ont tous accès à du matériel informatique. Et je ne leur en veux pas, loin de là. J'admire plutôt ces 15%.
En fait, c'est difficile de motiver quelqu'un à faire quelque chose de "
fortement suggéré, mais
facultatif" si on ne le lui donne qu'une valeur symbolique de "consolidation des acquis".
Surtout qu'en date d'aujourd'hui, certains élèves en échec s'imaginent sûrement passer au niveau supérieur malgré leurs difficultés.
Remettez-vous à cet âge. Allez, soyez honnêtes. Cessez de faire de l'âgisme.
Auriez-vous fait volontairement ce travail? En votre for intérieur, vous le savez que vous êtes majoritaires à dire non.
Imaginez maintenant si les conditions gagnantes ne sont pas réunies. Alors vivement un retour en classe!
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Mais comme dirait Gino, comment ça se fait que le système scolaire est si lent à réagir pour préparer le retour éventuel à l'école ? On évoquait même un mois de préparation il y a quelques jours, ce qui en a indigné plus d'un.
En fait, les défis sont nombreux et immenses. Il faut tenir compte de plusieurs variables
(Si vous avez la solution facile, go! Commentez! Mais j'y vois plusieurs écueils que les écoles secondaires auront à traverser.)
Les médias en ont amplement parlé, mais au cas où vous l'ignoriez, il manque désespérément de locaux dans les écoles. Et en plus, on implante des maternelles 4 ans....
Il est tellement difficile dans certains milieux d'avoir suffisamment de locaux libres qu'il est quasi-impossible d'organiser des périodes de récupération non planifiées pour aider un jeune, faute de place. Les horaires sont, dans plusieurs cas, déjà aménagés pour que les lieux communs, comme la cafétéria, puisse accueillir à tour de rôle les jeunes pour aller y manger. C'est avant la distanciation sociale.
Alors la distanciation sociale ou physique, il faudra en faire son deuil.
Peu avant l'Apocalypse, beaucoup de milieux avaient commencé à tester leur eau potable pour détecter des contaminations au plomb. Des affiches "Cette eau n'est pas potable" apparaissaient près des lavabos.
Et là, on va venir me faire accroire qu'on va fournir des solutions désinfectantes (en pleine pénurie) ou du savon en quantité suffisante pour que les jeunes (et les membres du personnel) puissent se laver les mains aux deux heures? Je doute fort du réalisme de cette mesure si tous les élèves se présentent à l'école en même temps. Je n'ai même pas accès à une boîte de mouchoirs dans ma classe en temps normal...
Ensuite, il faut penser aux poignées de portes et aux bureaux ou pupitres, qu'il faudra nettoyer à chaque début ou fin de cours.
Et comment organiser les pauses ? Si les élèves arrivent tous en même temps, on peut bien décaler les périodes de classe de quelques minutes, mais ça donne un horaire assez atypique. D'ailleurs, il faudra refaire les horaires de A à Z pour chacun des élèves si on veut éviter qu'ils soient attroupés. Ah oui, il faudra aussi repenser tout le transport scolaire...
Quel âge ont certains chauffeurs? Certains enseignants ? Non pas 70 ans, ils sont généralement à la retraite ceux-là, mais certains sont plus vulnérables que d'autres.
Comment gérer un jeune qui s'approcherait trop de l'enseignant, parce qu'il a une question à poser, par exemple? Je le perçois comme un défi au secondaire, alors imaginez au primaire!
Ou pire encore... Comment gérer un jeune qui s'approche trop parce qu'il "s'en calisse de la règle, lui" ?
J'imagine la scène.
- Recule
Kevin! Recule
Kevin!!! Recule!!!! Stop!
C'est idiot?
Frapper ou intimider quelqu'un, c'est idiot aussi et ça n'empêche pas la chose d'arriver à tous les jours dans toutes les écoles.
Les règles, c'est fait pour être transgressé... Parlez-en à ceux qui reçoivent des contraventions ces jours-ci. Et ce ne sont pas des ados en majorité.... Alors imaginez ce qui arrive quand on est à l'âge où tester les limites, c'est un besoin. Il faudra donc revoir nos manières de faire, la réglementation scolaire. Les conséquences apportées aux récalcitrants. Il faudra donner un nouveau sens à l'expression "gérer les risques."
De plus, il est acquis que certains parents vont garder leurs enfants à la maison, soit pour la sécurité de l'enfant, ou celle de son entourage. Il faudra scolariser ces jeunes là-aussi.
Pour toutes ces raisons - et pour d'autres, je vois mal comment tous les élèves pourraient entrer à l'école en même temps.
Comprenez moi bien. Je
souhaite un retour à l'école. Au plus sacrant à part ça. Mais il faut prendre le temps de réfléchir à ces défis - et à bien d'autres.
Est-ce que la solution passe par une école facultative ? Une école à mi-temps ? Une école hybride présentiel/distance ? Peut-être bien.
En fait, je sais pas.
Mais qu'on y retourne au plus sacrant. De un, parce que je m'ennuie de pratiquer mon métier, de mon monde, mon milieu.
Et parce que tout le monde sait aussi que l'école, c'est le meilleur endroit pour atténuer les inégalités sociales.
Parce que certains jeunes, en ce moment, sont seuls. Au propre, ou au figuré.
Parce que d'autres subissent des abus. Physiques, psychologiques, sexuels.
Parce que certains, même avec notre meilleure volonté, ne feront jamais les travaux qu'on leur demande à l'école, alors imaginez à la maison...
Parce que la place d'un jeune, c'est à l'école. Voilà.
Sauf qu'on ne nous dit rien. On nous tient dans l'ignorance, volontairement ou non.
Il faudra certainement revoir nos façons de faire, changer nos habitudes.
Mais pour le moment, on ne nous implique pas dans le processus et on n'attend que ça.
Bon, assez pour ce soir... J'ai des enfants qui se lèvent tôt. Demain, je deviens, en quelque sorte, un enseignant de maternelle avec une de mes petites. On doit apprendre à tracer la lettre "U".
D'autres enfants n'ont cependant pas la "chance" d'avoir un enseignant à la maison.
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P.S. Je corrigerai les quelques fautes qui restent un autre tantôt.
P.P.S. Mes propos n'engagent que moi et aucunement mes employeurs.
Allez, à dans cinq ans! Ou moins!