Une prorogation. De quessé que ça mange en hiver, ça une prorogation? Ah oui, Stephen Harper a fermé la Chambre des Communes. La clé dans la porte, merci bonsoir, on se r'verra un de ces moments donnés au printemps..
Les partis d'opposition ont crié au loup : le Parti libéral de l'invisible Mickaël Ignatieff a même lancé une campagne de publicité anti-conservatrice sur le theme de cette prorogation. Le Bloc et le NPD sont du même avis que les libéraux : c'est un scandale de fermer le Parlement.
Pour répliquer, Harper et ses sous-fifres, Steven Blaney ou Christian Paradis, se défendent bien d'être anti-démocratiques. Les députés des partis d'opposition ont-ils si peur de retourner dans leurs circonscriptions pour rencontrer leur électeurs, disent-ils? Mauvaise foi.
Au delà de la partisannerie, il faut se poser la question de manière raisonnée : est-il légitime de fermer le Parlement. l'organe législatif du pouvoir, quel que soit le parti au pouvoir, sur une si longue période?
Vous devinez mon opinion là-dessus. Bien sûr que ce n'est pas légitime! Mais pourquoi?
Politique historique 101. Les historiens et les accrocs de la politique, sortez de cette page, vous allez vous emmerder. Les autres qui sont moins portés sur la chose politique, continuez à lire.
Il faut revenir à ce qui définit notre système politique, un régime parlementaire de tradition britannique. Je m'en tiendrai à la version nord-américaine du système. On pourrait aller à l'essence même de ce système en Angleterre du Moyen-Âge : parler de la "Grande Charte", de l'Habeas Corpus et d'autres concepts légaux incorporés à notre système aujourd'hui. Cependant, m'adressant à Monsieur-Madame-tout-le-monde, je m'en tiendrai au plus simple, c'est-à-dire la version québécoise et canadienne de notre régime.
Depuis 1791, le Québec - alors le Bas Canada - élit ses représentants. (Ses députés, si vous préférez.) Ceux-ci ont, à l'époque, comme responsabilité principale de voter les lois. Bien que ces lois étaient votées par la majorité francophone, il fallait tout de même qu'elles soient acceptées par une autorité qui venait d'une instance supérieure : le roi britannique et ses représentants. Ainsi, on peut dire qu'à l'époque, le véritable pouvoir n'était pas exercé par la population, mais bien par le roi ou ses représentants (gouverneur, conseils, etc.). La Chambre d'assemblée, l'ancêtre lointaine de la Chambre des Communes actuelle, était donc d'une certaine façon consultative. Le sens des flèches sur le schéma qui suit est important.
Le pouvoir en 1791
Les Patriotes de 1837-38 se sont révoltés en bonne partie contre cet état de fait : il n'était pas à un gouverneur non élu de décider quoi faire du budget de l'État. Surtout pas à un gouverneur anglophone, à l'époque. C'est plutôt à la population, par l'entremise de ses députés élus, de décider comment seraient dépensés les revenus du Bas Canada.
Bien que les rébellions de 1837-38 se soient conclues par un retentissant échec des Patriotes, on doit à Louis-Hyppolite Lafontaine et à Robert Baldwin ce qu'on a appelle un gouvernement responsable, ce qui constitue une véritable démocratie.
Louis Hippolite Lafontaine
En termes clairs, et c'est encore ainsi que fonctionne notre système, on reconnaît que le pouvoir émane du peuple. Comme il est impossible que toute la population puissent prendre part au décisions, il est convenu qu'elle délègue son pouvoir à des députés élus. Ces députés se regroupent par affinités en partis. Le parti qui a fait élire le plus de députés forme le gouvernement qu'on appelle le conseil exécutif sur le schéma suivant.
Le pouvoir en 1849
La tradition parlementaire veut que ce soit encore le gouverneur qui choisisse le Premier ministre. On dit bien tradition, puisqu'il doit respecter la volonté populaire. Comme nous venons de le voir, il choisit le PM parmi les députés élus de la Chambre d'Assemblée. Le Premier ministre n'est pas élu par la population, il n'est que le chef du parti qui a le plus de députés.
Si Stephen Harper démissionnait, le Parti conservateur devrait se trouver un nouveau chef. Le gouverneur - Mickaëlle Jean présentement - aurait alors la responsabilité de nommer un nouveau Premier ministre. Comme les conservateurs sont les plus nombreux à la Chambre des communes, le gouverneur choisira, de toute évidence, celui qui serait le nouveau chef des conservateurs dans cet exemple théorique.
Pourquoi tout ce retour historique?
Simplement pour rappeler une chose : le pouvoir du Premier ministre émane du peuple, qui délègue son pouvoir à la Chambre des Communes. Notre système parlementaire - c'est un grand défaut - ne permet pas de choisir son chef de gouvernement. Nous votons pour un député.
La période des questions est la parfaite démonstration de cet état de fait : le Premier ministre et les ministres sont redevables devant la population. Ils ont des comptes à rendre pour expliquer leurs décision devant les représentants élus du peuple, les députés. Une fois par jour, d'une durée de 45 minutes.
Si jamais le Premier ministre et les ministres n'ont plus la confiance de la Chambre des communes, cette dernière peut, par un vote, lui enlever le pouvoir. N'oubliez pas que c'est le peuple et ses représentants qui choisissent qui ils veulent comme dirigeant!
Dans le cas d'un parlement majoritairement composé de majoritairement de conservateurs, ça ne cause pas de problèmes pour le Premier ministre. Si, sur les 308 députés de la Chambre, au moins 155 votent en faveur du Premier ministre ou son gouvernement, il a la confiance de plus de 50% du Parlement et peut par conséquent continuer de gouverner.
Le problème de Harper, c'est qu'il n'a que 144 députés conservateurs. Ajoutez "l'indépendant" André Arthur, et vous en avez 145. 47% du Parlement. Le peuple l'a voulu ainsi. Dans un tel contexte, le gouvernement doit respecter la volonté du peuple et prendre des décisions qui reflètent cette situation, de là l'utilité de s'entendre avec au moins un parti de l'opposition. Voilà pourquoi on ne cesse de parler de risque d'élections fédérales depuis 2008. C'est le fameux gouvernement minoritaire. Le problème étant le coût monétaire (+300 millions) et politique de déclencher des élections. Quel parti aura l'odieux de poser ce geste coûteux?
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Dans ce contexte, est-ce démocratique que de "fermer" le parlement, alors que d'importantes décisions seront prises par le gouvernement? Nous enverrons, semble-t-il, 1000 de nos soldats à Haïti. Est-ce que le Parlement devrait avoir son mot à dire? Techniquement parlant, oui. Même chose pour toutes les décisions que Stephen Harper prendra dans les prochaines semaines. Il sait très bien que les Olympiques auront lieu en février. S'il prend une décision controversée en janvier - février, qui s'en souviendra en avril? Les médias étant ce qu'ils sont, on passera à autre chose.
Actuellement, personne ne peut poser de questions au gouvernement pour l'obliger à expliquer ses décisions. Tous les comités qui siégeaient, et qui étaient composés majoritairement par des députés de l'opposition légitimement élus, ont dû cesser leurs travaux. Tout recommencera lorsque les députés pourront siéger, au printemps. N'avait-on pas une économie à relancer? Les députés n'ont-ils pas leur rôle à jouer quant aux décisions qui seront prises?
La prorogation, décidée par le Premier ministre, est en fait approuvée par le gouverneur général. Mickaëlle Jean avait le pouvoir de refuser cette fermeture prématurée du Parlement.
Elle a accepté la prorogation. Dans l'intérêt de qui? Celui des 38 000 électeurs de Calgary Sud-Ouest, qui ont voté pour Stephen Harper, ou celui d'une population canadienne qui a voté à 63% pour un parti autre que le Parti conservateur?